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Les droits de l'homme s'arrêtent la ou commencent ceux des affaires

Affaire Karachi: pour quelques millions d’euros de plus.

Parmi le brouhaha médiatique sur l’équipe de France de football ou sur l’affaire Bettencourt, une information de première importance est quasiment passée inaperçue. Il s’agit de la décision du ministre de la défense de déclassifier des documents classés "secrets défense", dans le cadre de l’affaire Karachi.

C’est le quotidien Le Figaro qui a annoncé, le 21 juin 2010, que le ministre de la Défense Hervé Morin s’en était remis à l’avis favorable de la Commission Consultative du secret de la Défense Nationale. Les documents réclamés par le juge parisien Marc Trévidic, en charge du dossier de l’attentat de Karachi, vont donc être déclassifiés, ce qui permettra au magistrat d’affiner son enquête et de valider ou d’invalider son hypothèse selon laquelle le mobile de l’ acte terroriste perpétré à Karachi en 2002– qui a tué 11 Français – "était probablement lié à l’arrêt du versement de commissions, pouvant elles-mêmes avoir donné lieu à des malversations financières en France". .

Parmi ces documents, le juge pourra consulter les deux rapports du contrôle général des armées ainsi que le contrat Agosta (concernant la vente de trois sous-marins Agosta au Pakistan conclue en 1994) et ses annexes. Ce contrat, signé le 21 septembre 1994 entre la branche internationale de la Direction des constructions navales (DCNI) et la marine pakistanaise est d’une importance capitale, non pas pour savoir si il y a eu rétro-commissions, mais si les commissions qui ont été versées ( ce que l’on sait désormais avec certitude) contrevenaient à certaines clauses du dit contrat.

Il va donc être désormais possible de vérifier si,comme cela était suggéré par Le Figaro, l’article 47 du contrat Agosta "interdit à DCNI de "proposer, donner ou accepter de donner à toute personne au service de l’acheteur (le Pakistan, NDLR) tout cadeau ou rétribution quel qu’il soit (…) en vue de l’obtention ou de la réalisation de ce contrat. Il prévoit également que "le contractant" (DCNI) s’engage à ne payer "aucune commission à des intermédiaires" dans le cadre de ce contrat. Si cette clause est violée, l’acheteur peut exiger de récupérer le montant des sommes versées par le contractant à ces intermédiaires et saisir un tribunal arbitral à Londres, prévoit l’article 37 du contrat."

Si comme le souligne Le Figaro, l’article 47 n’a pas été respecté, l’État pakistanais sera tout à fait en droit, comme Taïwan l’a fait dans l’affaire des frégates, de réclamer à l’État français des centaines de millions de dollars pour avoir rémunéré des intermédiaires en vue d’obtenir la vente de trois sous-marins à l’État pakistanais. Car, même si de nombreux journaux ont affirmé que le payement de commissions était tout à fait légale en France, ils ont clairement oublié qu’en droit, y compris en 2002, cette pratique été considéré comme illégale et punissable si les clauses contractuelles l’interdisaient (ce que, ni Nicolas Sarkozy ministre des finances de l’époque, ni François Léotard alors ministre de la défense, ni les dirigeants de la DCA , tous signataires du contrat, ne pouvaient ignorer, sauf à n’avoir pas lu le contrat avant de le signer)!

Actuellement, selon les témoignages recueillis dans le cadre de l’enquête judiciaire antiterroriste menée par le juge Marc Trévidic, 10,25% du montant du contrat s’élevant au total à 5,4 milliards de francs (830 millions d’euros) devaient être versés à des intermédiaires. Cette clause très particulière aurait été, selon LEMONDE.FR imposée à la branche internationale de la DCN par Renaud Donnedieu de Vabres, conseiller du ministre de la défense d’alors, François Léotard.

La déclassification des rapports établis par le contrôle général des armées et en particulier et ceux du contrôleur général des armées, Jean-Louis Porchier, va permettre d’en savoir plus sur "des fautes et des irrégularités qui méritaient des sanctions au niveau le plus élevé […] jusque dans l’entourage de François Léotard". et surtout sur les confidences faites à Jean-Louis Porsche par "un haut-responsable du secrétariat général de la défense nationale (SGDN) sur l’existence de rétrocommissions en France à hauteur de 50 millions de francs".

Ainsi, même si l’actuelle ministre de l’économie a refusé ( par courrier en date du 26 Mars 2010) que des hauts fonctionnaires de son ministère soient entendus par la mission d’information parlementaire chargée d’y voir plus clair dans le rôle de l’État dans l’affaire Karachi, même si le procureur Marin où le second juge chargé de l’enquête antiterroriste font quelque peu obstacles à la découverte de la vérité, Marc Trévidic va pourvoir donner suite à la plainte des six familles de victimes de l’attentat perpétré à Karachi en 2002.

Si les documents mis à la disposition du juge permettent "de confirmer ou d’infirmer l’implication de services officiels pakistanais ou d’autorités officielles pakistanaises" dans l’attentat et l’approbation du versement de commissions donnée par le ministre du budget et le ministre de la défense, en contravention des règles contractuelles, nul doute que d’ici quelques mois ou années l’État français soit obligé de verser des sommes colossales à l’État pakistanais, comme il vient d’être obligé de le faire dans le cadre contrat de vente des frégates.

Auquel cas, non seulement le contrat de vente de ses trois sous-marins aura causé la mort de 12 personnes, n’aura absolument rien rapporté financièrement à l’État français , mais qui plus est, plus de 15 ans après, il nous coûtera des centaines millions de dollars si l’État pakistanais décide de faire appliquer toutes les clauses du contrat Agosta, ce qu’il serait bien bête de ne pas faire…Notons pour l’anecdote que la cour de discipline budgétaire du 28 octobre 2005 de la Cour des comptes, a condamné pour «irrégularités dans la gestion du contrat», plusieurs dirigeants de la DCN et de la DGA à des amendes de l’ordre de 2.000 euros…des gouttes d’eau dans un océan.

J’ignore si la déclassification des documents "secrets défense" permettra au juge Trévidic d’établir s’il y a eu versement de rétro commission sur des comptes ayant bénéficié à des hommes politiques français. Mais la simple mise à disposition de la justice du contrat Agosta va probablement permettre de mettre en évidence, par recoupement avec les documents saisis au siège de la D. C. N. lors de récentes perquisitions, que l’État français, en acceptant le versement de commissions, contrevenait consciemment à des clauses spécifiques du contrat que ses représentants avaient signé. Il ne nous restera plus alors à attendre la sentence du tribunal arbitral de Londres…et, une nouvelle fois, à vider nos poches pour financer les "errances financières" de nos responsables politiques.

En savoir plus:

Le dossier de Bakchich

L’enquête de Libération

La menace de poursuites en diffamations "communiqué de l’Elysée"

La réaction de Nicolas Sarkozy en juin 2009

Sources : Le Figaro ; Le Télégramme ; LEMONDE.FR ; Le Point ; Le JDD

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